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Macaria
30 mars 2008

Version définitive du scénario

Version définitive du scénario

SEQUENCE 1
INT/EXT.J
Plans en léger mouvement sur les différents décors évoqués dans la voix off (maison au bord de l’eau, jardin, rue, bureau, maison chic, plage...). Aucun plan ne comporte d’acteur.

Antoine (V.O.)
Je m’appelle Antoine. J’ai 98 ans. Je suis né dans une chambre d’hôpital, comme tout le monde, mais j’ai grandi ici, quelque part dans l’Ouest de la France. Je dis “quelque par” car je ne sais même pas si ce lieu existe encore. D’ailleurs, cela n’a pas vraiment d’importance. Mes parents m’ont aimé comme des parents sont censés aimer leur enfant: sans se poser de questions. Pour être franc, je me souviens surtout des déjeuners dans le jardin, pendant l’été, et des baignades au couher du soleil. Quant aux évènements qui pourraient expliquer l’homme que je suis aujourd’hui, j’avoue qu’ils me sont un peu passés au dessus de la tête, comme beaucoup de choses lorsque l’on est gamin. J’avais 15 ans l’année où le cancer fut éradiqué. Ah ça,ce fut un sacré évènement...
Il n’y eut pas de grandes explosions de joie, comme on aurait pu l’imaginer, mais plutôt une sorte de gigantesque expiration de soulagement, silencieuse, un bonheur que l’on garde pour soi. Car au fond, ce n’était pas le cancer que nous avions vaincu, mais le monstre de notre enfance qui, la nuit, nous rappelait en murmures succincts la fragilité de notre existence. Le virus du SIDA, quant à lui, fut dans les années suivantes utilisé comme traitement contre de nombreuses maladies génétiques, lesquelles disparurent en moins de 10 ans. C’est à cette époque que j’ai monté mon entreprise de matériel de sécurité. Ce n’était au départ qu’une petite boite d’une dizaine d’employés, mais le marché était très porteur, et notre bébé se mit à grandir vite. A 31 ans, je devins le PDG de la firme, et nous fûmes côtés en bourse quelques mois après. Les attentats de Pekin firent exploser nos chiffres d’affaires, et ce fût le début de la fortune. Inutile de vous préciser qu’à l’heure où je vous parle, je suis considéré comme un des plus importants industriels français. Le plus riche, en tout cas. J’ai une femme, trois enfants, sept petits enfants et une arrière-petite fille à naître. Mes parents vivent toujours, bien entendu; ils sont tous deux en camp spécialisé, quelque part au nord de Paris. On me dit qu’ils sont en pleine forme, mais on ne m’envoie pas de photos. C’est la procédure. Grâce à la médecine, ils vivront encore 50 ou 60 ans, et je leur souhaite beaucoup de bonheur...

SEQUENCE 2
INT.J
Sonnerie d’ascenseur. Les portes s’ouvrent sur Antoine qui pénètre dans un long couloir. Il s’approche du bureau de la secrétaire.

SECRETAIRE
Oui?

ANTOINE
Bonjour, j’ai pris rendez-vous avec un conseiller, j’ai appellé en juillet dernier. Antoine Mery.

La secrétaire consulte son carnet

SECRETAIRE
Ah oui très bien, monsieur Meslin sera bientôt prêt. Je vais vous demander de patienter un peu.

Elle lui désigne une chaise à côté de son bureau. Antoine s’assoit.

ANTOINE (V.O.)
J’ai choisi de mourir. Ce n’est pas un acte courageux, ce n’est même pas un acte déséspéré. Et en réalité, ce n’est pas vraiment un choix. Il y’a juste, encore et toujours, la certitude. La certitude de la vieillesse, de la déliquescence, d’un lent déclin noyé dans un nuage de pillules. Je pense souvent à mes parents. Et je vis désormais avec une autre certitude : on ne m’enverra jamais de photos... C’est la procédure.

SECRETAIRE
Monsieur Méry, vous pouvez entrer.

Antoine ouvre la porte que la secrétaire pointe du doigt et pénètre dans la pièce. Au fond, un grand bureau tournant le dos à une baie vitrée. Meslin trie une pile de documents puis jette un oeil à Antoine, lui sourit.

MESLIN
Asseyez-vous! Je finis avec ça et je suis à vous.

Antoine s’execute et, patientant, saisit sur le bureau une brochure vantant les mérites de la société. Il la parcourt des yeux, tandis que Meslin range minutieusement ses documents dans un tiroir.

MESLIN
Alors... Vous êtes monsieur Mery, c’est ça ?

Antoine acquiesce.

MESLIN
Tres bien. Ca va, vous n’avez pas attendu trop longtemps ?

ANTOINE
Non non, un petit peu en bas, pour les formulaires, mais ça allait.

MESLIN
Vous avez eu de la chance! L’automne arrive, nous sommes assez débordés en ce moment, les dossiers commencent à arriver en masse et comme nous sommes très sélectifs, c’est un peu compliqué! En tout cas, je tiens d’abord à vous féliciter. Votre profil a fait l’unanimité au sein de l’administration, et c’est un plaisir pour moi de traiter votre dossier.

ANTOINE
C’est très aimable à vous.

MESLIN
Bien. Tout d’abord, nous allons ajouter les dernières pièces à votre profil afin que tout soit parfaitement en règles. Vous avez les autorisations banquaires ?
Antoine sort de son attaché-case deux documents agrafés qu’il remet à Meslin.

ANTOINE
Ils sont déjà signés

MESLIN
Parfait, et le deuxième chèque ?

Antoine lui glisse le chèque sur le bureau.

MESLIN
Très bien, maintenant je vais vous demander de répondre à un petit questionnaire, avant que l’on passe à un aspect plus technique, vous voulez bien ?

ANTOINE
Pas de problème.

MESLIN
Tout d’abord, comment avez vous connu notre société ?

ANTOINE
Et bien vous êtes quand même une référence en la matière; je crois que c’est une publicité à la télévision qui m’a permis de faire le premier pas, bien que l’idée me trottait déjà dans la tête depuis un bout de temps.

MESLIN
Avez-vous des antécédents familiaux ?

ANTOINE
Vous savez, je viens d’une famille de classe moyenne, ils ne pouvaient pas se le permettre.

MESLIN
Ah d’accord, très bien.

ANTOINE
Tout cela est marqué dans mon dossier, j’ai répondu à beaucoup de questions concernant mon passé et mes motivations...

MESLIN
Oui, j’en suis conscient, mais c’est la procédure, monsieur Mery.

Meslin lui adresse un sourire rassurant.

MESLIN
Inutile de vous rappeler l’importance capitale de votre démarche et du service que nous vous offrons. Cela doit être fait avec une grande méticulosité. Il s’agit quand même de votre mort, monsieur Mery!

Meslin range les documents qu’il avait devant lui et en saisit d’autres.

MESLIN
Quelques petits détails techniques à présent. Avez-vous des préférences concernant l’opération en elle-même ? Intraveineuse, respiratoire ?

ANTOINE
Je suppose que la voie respiratoire est la moins douloureuse...

MESLIN
Sans aucun doute, mais l’intraveineuse est beaucoup plus efficace. Le gaz que vous inhalez peut ne pas faire effet tout de suite, ou bien simplement vous endormir au début de l’opération, ce qui peut déclencher un instant de flottement comateux, parfois mêmes des hallucinations, ce qui peut considérablement altérer, du moins compliquer, la fin de vie.. Rappelez-vous que notre but est que vous vous en alliez le plus sereinement possible...

ANTOINE
Je vais prendre le risque.

MESLIN
Aucune allèrgie à déclarer ? Pas de vaccin contre l’hépatite, la trisomie...

ANTOINE
Non, rien de tout ça.

MESLIN
Tres bien. Un point essentiel à présent. De quel confession êtes-vous ?

ANTOINE
Et bien...disons que j’ai été élevé dans une tradition catholique, mais je n’ai jamais pratiqué, je ne dois même pas être baptisé...

MESLIN
Voulez-vous une séance avec notre prêtre attitré ? Une demi-heure de confession, gratuite.

ANTOINE
Je pense que ce serait un peu hypocrite de ma part...

MESLIN
Réfléchissez-bien, monsieur Mery, réflechissez-bien...

ANTOINE
Non non, je vous assure, je m’en passerai.

MESLIN
Je le note, mais rien n’est arrêté, vous pourrez toujours demander une séance au dernier moment... Par rapport à la musique...Avez-vous choisi un morceau pour l’opération ?

ANTOINE
J’avais pensé à l’ouverture de l’Opus 27, de Chopin...

MESLIN
Excellent choix. Et bien, je crois que nous avons fait le tour. Ah, un dernier point, et puis je vous laisse tranquile. Depuis la saison dernière, nous proposons à nos clients une nouvelle option plutôt interessante. Nous avons en effet les possibilités techniques de vous faire revivre un de Avez-vous des questionsvos souvenirs !

ANTOINE, sourire ironique
Le fameux mythe de la vie qui défile devant nos yeux...

MESLIN
Vous vous moquez, mais c’est très demandé. Pensez à un moment heureux, ou important dans votre vie, ça ne vous plairait pas de le revivre une dernière fois ?

ANTOINE, après hésitation
J’y réfléchirai...

MESLIN
Très bien. Avez-vous des questions? Quoi que ce soit, un point à éclaircir ?

ANTOINE
Et bien...en vérité, il y a peut être quelque chose que je ne vous ai pas confié...

MESLIN fronce les sourcils, visiblement inquiet, avec une once de colère.

MESLIN
Je n’aime pas trop ça, monsieur Mery. Nous avions pourtant été TRES CLAIRS concernant l’exactitude des informations fournies...

ANTOINE
Je le sais bien, et je ne vous ai pas vraiment caché quelque chose, mais disons qu’il y a un point que j’aimerai abordé avec vous.

MESLIN
Si c’est une tentative de suicide, monsieur Mery, vous savez... à quel point cela pourrait avoir des répercussions sur l’image de votre famille et la mémoire de vos aïeux...

ANTOINE tente de l’interrompre, lui dire que ce n’est pas de cela qu’il ‘agit.

MESLIN
...et je n’ai même pas besoin de vous préciser que votre interruption de vie serait immédiatement ANNULEE!

ANTOINE
Non, non, je n’ai jamais tenté de me suicider! J’aime trop ma famille pour ça, jamais je ne leur ferais une telle honte! Mais c’est que...il m’est arrivé...il m’est arrivé d’y penser...une fois.

MESLIN, qui s’était levé de son fauteuil pendant l’altercation, baisse les yeux et se détend un peu, mais il est visiblement inquiet.

Après une longue pause, MESLIN contourne son bureau et vient se planter en face d’ANTOINE, dont les yeux restent fixés dans le vide, sous le choc de sa propre révélation. MESLIN s’appuie sur les bras du fauteuil d’ANTOINE et se met à lui parler très calmement, presque en murmurant.

MESLIN
Monsieur Mery. Des hommes et des femmes ont passé leurs vies, il n’y a pas si longtemps que ça, pour fournir à des gens comme vous et moi une vie pure, vierge de tout parasite et de toute maladie. Il faut un immense respect pour la vie quand on fait le métier que je fais, monsieur Mery. Je vous propose la seule et unique façon de mourir dignement. Antoine. Regardez moi. La seule et unique façon de mourir dignement, c’est de décider de mettre un point final à une belle histoire, et non d’en lacérer les pages. L’ombre des limbes plane sur vos pensées macabres, Antoine. Votre secret sera bien gardé, car je me fais un devoir de purifier votre esprit. L’interruption est maintenue.

MESLIN se redresse et regagne son bureau. ANTOINE reste assis dans son fauteuil. L’ouverture de l’opus 27 se fait entendre en off.



SEQUENCE 3
INT.J

MESLIN, habillé en tenue stérile, entouré de 2 assistants, s’affaire autour d’ANTOINE, alongé dans un lit d’hopital (ou bien un fauteuil, de dentiste par ex). ANTOINE fixe le plafond, détendu et souriant presque, balançant la tête au grès de la musique.

MESLIN
C’est le grand final, Antoine. Vous êtes prêt ?

ANTOINE
Oui, vous pouvez y aller...

Un assistant ouvre une valve tandis que l’autre surveille les signes vitaux; MESLIN dépose le masque sur la bouche d’ANTOINE.

MESLIN
Ca y’est...vous sortez par la grande porte, ANTOINE! Reposez en paix...

ANTOINE s’endort doucement. Apparaissent alors des images très brèves d’une plage, dans une lumière d’après-midi, puis à nouveau le visage d’ANTOINE, puis la plage, puis ANTOINE. Finalement, on reste sur l’image de la plage, en caméra subjective, comme si quelqu’un s’y promenait. En off, on continue d'entendre Chopin.


NOIR

GENERIQUE

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